Edito de février 2021

« As-tu vu ces lumières, ces pourvoyeuses d’été
Ces leveuses de barrières, toutes ces larmes épuisées
Les baisers reçus, savais-tu qu’ils duraient ?
Qu’en se mordant la bouche, le goût en revenait

Mortels, mortels, nous sommes immortels
Je ne t’ai jamais dit mais nous sommes immortels

As-tu senti parfois que rien ne finissait ?
Et qu’on soit là ou pas quand même on y serait
Et toi qui n’es plus là c’est comme si tu étais
Plus immortel que moi mais je te suis de près

Mortels, mortels, nous sommes immortels
Je ne t’ai jamais dit mais nous sommes immortels
Mortels, mortels, nous sommes immortels
Je ne t’ai jamais dit mais nous sommes immortels »

 

Dominique A / Alain Bashung

 

Les souvenirs sont fragiles, mais il suffit parfois de peu pour qu’ils reviennent à la vie : une lumière, un point de saison, un parfum, une mélodie ou une consistance.

 

Souvenirs d’avant, forcément, qui nourrissent la croyance (illusoire) d’un moi identique au fil du temps, tout en nous donnant la mesure de nos transformations, des bifurcations de nos chemins existentiels, et de conséquences – que nous n’avions pas toujours anticipées – sur nos désirs, nos émotions, nos pensées.

 

Si les changements qui nous affectent découlent souvent de choix de vie individuels, la plupart des changements induits par la crise sanitaire actuelle résultent au contraire de situations subies (isolement, difficultés professionnelles et économiques, déplacements et mouvements restreints), sur lesquelles nous avons peu de maîtrise, et dans un contexte où les décisions essentielles ont tendance à être différées.

 

Certes, le retranchement, et la mise à distance qu’il favorise, nous invitent à descendre en nos passions – et donc à les remonter – tout en mettant en ordre nos pensées.

 

Cependant, nos pensées et nos idées ne sont ni étrangères ni imperméables à nos émotions, nos sentiments, et même à nos humeurs, dont certains soutiennent qu’ils varieraient selon les saisons et les âges de la vie.

 

La mélancolie, le désarroi et le fatalisme, qui – comme certains virus – sont dans l’air du temps, irriguent nos pensées.

 

Pour autant, ces troubles ne peuvent pas caractériser une pensée ou une idée ; à peine une conviction.

 

Les « convictions philosophiques », précisément, figurent désormais parmi les données susceptibles d’être recueillies dans trois fichiers de police, aux termes de trois décrets publiés le 4 décembre 2020.

 

Interrogé en amont, le Conseil d’Etat a validé cet élargissement des fichiers de renseignement, au motif que la collecte d’une « sensibilité philosophique » (ou d’une conviction religieuse) ne porte pas atteinte à la liberté de conscience.

 

Etant rappelé que les principales Obédiences Maçonniques sont régulièrement auditionnées par l’Assemblée Nationale, le Sénat ou le gouvernement au titre des « courants philosophiques », il ne fait guère de doute que les 170.000 francs-maçons et francs-maçonnes de France sont potentiellement – d’autres conditions étant requises – concernés par ce fichage.

 

Quoiqu’il en soit, c’est probablement au nom de ces « convictions » – dont la certitude péremptoire qui sous-tend le terme s’accommode peut-être avec peine d’un certain doute méthodique accompagnant le parcours initiatique – que nous ne pouvons nous résigner à subir indéfiniment.

 

Le temps des choix viendra, et chacun doit s’y préparer, en se mettant au-dessus des sensations présentes et des humeurs qu’elles engendrent.

 

Même l’imprévu peut être ajourné, et j’y vois la victoire de l’esprit.

 

« L’homme est mortel par ses craintes, et immortel par ses désirs » (Pythagore).

 

Edouard Habrant