Édito de septembre 2020

« Fais-moi revenir au monde

Le toucher sans mettre de gants

Même pour sentir qu’il s’effondre

Même s’il n’y croit plus comme avant

Fais-moi retrouver mon ombre

Perdue dans l’ombre qui me tient

Le souvenir du lendemain

Deux flèches lancées par-dessus les combles

Fais-moi revenir au monde »

 

Dominique A, Revenir au monde

 

 

En des temps où la notion même d’universalisme est parfois mise à rude épreuve, un large consensus s’est dégagé lors de la pandémie pour proclamer qu’il fallait, avant toute chose, sauver des vies et même sauver toutes les vies.

 

Ainsi ce fléau, qui risque de nous accabler pour un moment,peut avoir aiguisé notre regard sur le monde, en nous rendant plus intolérants à l’inégalité des vies, comme celles des 80 millions de personnes qui – selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés – fuient actuellement les guerres et les famines ; comme celles des noirs aux Etats-Unis ; comme celles de nombreuses personnes âgées murées dans leur solitude.

 

Hans Jonas aurait donc eu raison de souligner que la peur serait le point de départ d’une éthique de la responsabilité, en préfigurant la prise de conscience, et donc la mise en place de remèdes et de solutions.

 

Contrôlée par la raison, la peur pourrait nous permettre de corriger les trajectoires et conjurer les catastrophes, tout en nous permettant d’accepter nos vulnérabilités et les contingences profondes de la nature humaine.

 

Mais quels sont les remèdes contre la peur ?

 

A la sidération des premières semaines a succédé une forme de torpeur estivale, camouflant à peine les tensions en place et les colères à venir.

 

Dans un monde où même les statues ne sont plus immobiles, l’histoire demeure une matière vive, complexe et fluctuante.

 

Pour notre quête de sens, de compréhension et de mise en perspective, nous pouvons nous réjouir d’avoir « la chance de vivre dans des villes dont les rues portent des noms propres, et pas des numéros », comme le souligne l’historienne Mona Ozouf.

 

Pour autant, la réflexion s’accommode souvent mal de la peur, dont la nature politique doit également être soulignée, en ce qu’elle prépare manifestement les citoyens à l’obéissance, voire à la soumission.

 

C’est ainsi que, dans le cadre des mesures d’urgence prises par différentes législations, certains gouvernements – particulièrement en Europe de l’Est – se sont empressés de réprimer davantage les délits de diffamation ou d’offense à l’égard du pouvoir en place, alors que le lien avec la lutte contre la pandémie paraît pour le moins ténu.

 

En ce début du mois de septembre, l’ouverture du procès des attentats de 2015 (Charlie Hebdo, Hyper Casher et Montrouge), nous rappelle également combien la peur est l’arme fondamentale des terrorismes et des fanatismes.

 

En matière sanitaire comme en matière sécuritaire, il serait malsain, pour ne pas dire inacceptable, d’entretenir une confusion entre la prudence légitime et la peur, au risque de masquer des défis majeurs, et d’escamoter les débats démocratiques.

 

Surtout, la peur ne doit pas diminuer la joie de vivre et l’idée que nous sommes toutes et tous les artisans de nous-mêmes : à la fois œuvre et artiste.

 

Est-ce ce que Kipling avait en tête en disant que « nous devons prendre le maximum de risques avec le maximum de précautions » ?

 

Quoi qu’il en soit, et même si certains plis ne s’effacent qu’avec nous, il est vital de continuer à écrire notre histoire.

 

De poursuivre le récit de nos voyages et de s’efforcer de relever la nature humaine, sans cesse.

 

Et de se garder des pensées d’automne.

 

Édouard Habrant