Éditorial du Grand Maître - Novembre 2025

Citoyen

« No man is an island,
Entire of itself,
Every man is a piece of the continent,
A part of the main… »

« Nul homme n’est une île,
Entière en elle-même,
Tout homme est un morceau du continent,
Une partie de l’ensemble… »

Méditation XVII (1624) – John Donne

Dépassons les premiers vers de ce poème exhumé par les tenants du « Remain »1 lors de la campagne du referendum de 2016 pour ou contre la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne. Que serait une communauté si elle ne vivait que seule ? A plus ou moins long terme, elle périrait, comme n’importe quel groupe humain qui ne se renouvelle pas, qui n’accueille pas une altérité, une adversité, ces choses qui le poussent à évoluer, à fabriquer de lui-même sur lui-même.

L’Homme n’est pas une île. S’il en était une, il ne s’élèverait pas. Parce que c’est en vivant avec l’autre, en échangeant, en travaillant, en aimant que l’Homme apprend à se connaître, qu’il se construit et in fine s’épanouit.

Selon le ministère de l’Intérieur, en 2024 les services de Police et de Gendarmerie Nationales ont enregistré plus de 16.000 infractions à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux sur l’ensemble du territoire français ; des chiffres en augmentation de 6 à 11%2 selon qu’il s’agisse d’une contravention, d’un délit ou d’un crime.
Parmi ces actes, 1.570 actes d’antisémitisme ont par exemple été commis en France en 2024 selon une étude du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) parue en janvier 2024, des chiffres eux aussi en forte augmentation depuis 2022.

Pouvons-nous connaître ces chiffres et ne pas réagir ?

La République repose sur des principes et des valeurs. L’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 égrène les valeurs.
La Liberté laisse à chacun le droit d’exprimer son opinion. L’Egalité permet de considérer les citoyens comme étant de même niveau devant la Société. La Fraternité incite au respect de l’autre et à la solidarité avec tous.

Si les valeurs de notre République aident à lutter contre le racisme, elles ne sont pas seules. La République adopte des lois. Ces lois interdisent les propos et les actes racistes en ce que le racisme n’est pas une opinion mais un délit ; elles interdisent la haine et la discrimination ; elles condamnent la négation ou la remise en cause de la mémoire ; enfin, elles considèrent comme aggravantes les circonstances racistes de la commission d’un acte.

Mais la loi doit intervenir seulement après que nous avons essayé tout le reste. Dans tout le reste, il y a le sens commun, le sens civique, les comportements humains… Car les institutions ne sont pas les seules à jouer un rôle dans la lutte contre le racisme.
Selon une synthèse de la note du Conseil d’Etat « Être un citoyen aujourd’hui » parue en 2018, « Être citoyen, c’est faire preuve de la capacité de s’extraire de ses appartenances, sans les renier, pour décider des affaires d’une communauté plus large ; c’est trouver en soi-même un espace de neutralité dans lequel on constitue, avec les autres, un être collectif qui est un corps politique. »3
Les citoyens ont un rôle à tenir.

Eduquer, amener à s’ouvrir est une clef. Car le cheminement n’est pas naturel et il nous faut accompagner ceux pour qui il ne l’est pas. Parents, encadrants, enseignants, amis, Anciens nous tous devons transmettre les choses simples qui permettent le respect de la dignité humaine, c’est-à-dire le traitement en toute égalité de l’autre être humain, quelle que soit sa condition.
Alors, la haine de l’autre, le mépris, les amalgames, la facilité de la confusion sont en effet combattus.
Alors, ouvrir son esprit, ne pas juger, accepter l’autre avec sa différence devient naturel.
Alors, le vivre ensemble devient possible.
Ces efforts nous permettent d’emprunter un chemin vertueux, qui va de la peur à la curiosité, de la curiosité au dialogue, du dialogue à la compréhension mutuelle, de la compréhension à l’acceptation de l’autre dans toutes ses composantes.

Parce qu’il n’est soutenable que nos amis juifs ne soient pas sereins en se rendant à la synagogue le samedi matin ; parce qu’il n’est pas acceptable que nos amis musulmans ressentent de l’hostilité en raison de leur religion ; parce qu’il n’est pas entendable que nos amis chrétiens soient agressés du fait de leur croyance. Aucune appartenance ne peut être le motif de violence, quelle que soit sa forme.
C’est à nous tous qui composons la Société, de nous rendre compte de la portée de nos actions. Nous tous devons accomplir ce travail parce que c’est un travail de citoyen.

Car, selon le Pasteur Martin Niemöller « … il est des silences coupables, plus assassins qu’aucune parole, qu’aucune arme peut-être. Car il est des silences complices dont le nombre fait la force et la force la loi. Celle des majorités silencieuses qui sert de caution et d’alibi aux crimes contre l’humanité. »

Alors que nos concitoyens sont dans la peine pour certains, dans la crainte pour d’autres, nous n’avons d’autre choix que de les soutenir, de leur dire que la Société tout entière s’oppose au racisme et plus largement à l’exclusion quelle qu’en soit la manifestation.

Souvenons-nous des mots de Martin Luther-King : « A la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis mais des silences de nos amis. »

No man is an island,
Entire of itself,
Every man is a piece of the continent,
A part of the main,
If a clod be washed away by the sea,
Europe is the less,
As well as if a promontory were.
As well as if a manor of thy friend’s
Or of thine own were,
Any man’s death diminishes me,
Because I am involved in mankind,
And therefore never send to know for whom the bell tolls,
It tolls for thee.

Nul homme n’est une île,
Entière en elle-même ;
Tout homme est un morceau du continent,
Une partie de l’ensemble.
Si une motte de terre était emportée par la mer,
L’Europe en serait diminuée,
Aussi bien que si c’était un promontoire,
Aussi bien que si c’était le manoir de tes amis,
Ou le tien propre,
La mort de tout homme me diminue,
Parce que je fais partie du genre humain,
Et en conséquence, n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas ;
Il sonne pour toi.

Méditation XVII (1624) – John Donne

Félix Natali
Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France.
29 octobre 2025


1. « Remain » : rester.
2. https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/atteintes-a-caractere-raciste-xenophobe-ou-antireligieux-en-2024
3. https://www.conseil-etat.fr › ea18_ce_citoyennete_synthese