Edito du Sérénissime Grand Maître – septembre 2021

Islam en France : comment lutter contre les préjugés et la fièvre identitaire ?

Conférence organisée samedi 4 septembre par la G.L.M.F.

Chems-Eddine Hafiz, avocat et recteur de la Grande Mosquée de Paris

Nedjib Sidi Moussa, politologue, auteur de La fabrique du Musulman

Edouard Habrant, Grand Maître de la G.L.M.F.

La Grande Loge Mixte de France, dont j’ai eu l’honneur d’être le Sérénissime Grand Maître pendant deux mandats, a souhaité – dans le cadre de la réflexion qu’elle mène sur l’homme et la société – organiser samedi 4 septembre, à Paris, au théâtre de l’Alliance française une conférence intitulée : « Islam en France : comment lutter contre les préjugés et la fièvre identitaire ? ».

Cette conférence poursuivait une ambition de départ élevée : il s’agissait pour nous maçons d’une obédience adogmatique de contribuer à la lutte contre des idées préconçues, en l’occurrence celles liées à une religion.

En ces temps de début de campagne électorale et de débats enflammés sur l’immigration, l’intégration des personnes issues de cette immigration, la place des religions et les contours à donner à la laïcité, le sujet aurait pu n’être que clivant ou inutilement polémique. Grâce à la qualité et la finesse des deux intervenants, aussi bien les écueils du politiquement correct que ceux du sensationnalisme ont été évités.

Les deux intervenants ont tenu des propos complémentaires qui nous ont permis de comprendre les ressorts d’une question – la place de l’islam en France – qui suscite bien des interrogations, des malentendus, des peurs et de l’incompréhension. Nedjib Sidi Moussa, politologue, auteur de la Fabrique du Musulman et Dissidences algériennes, anthologie de l’indépendance au hirak, a décrypté les concepts et livré une analyse rigoureuse des choses et des événements. S’intéressant à l’histoire des idées, il a resitué la question dans son contexte social et politique et s’est penché sur la théorie dite du « Grand remplacement ».Celle-ci fait des adeptes à tel point que de nombreux électeurs du Rassemblement national ou admirateurs des discours d’Eric Zemmour voient dans chaque musulman un islamiste en sommeil. Comment éviter ces amalgames qui font le jeu des extrêmes et des islamistes précisément ?

Chems-Eddine Hafiz, avocat et recteur de la Grande Mosquée de Paris, a quant à lui, expliqué de manière sensible comment il vivait sa foi de manière apaisée et belle, parfaitement respectueuse des lois de la République. Alors que des trublions spécialistes de la désinformation, personnages sinistres d’extrême droite ou populistes de tous poils, entendent monter les Français les uns contre les autres, en fabriquant des identités rigides et façonnant des automatismes de pensées, une évidence mérite d’être rappelée : les Français musulmans sont des citoyens comme les autres. Ils ont naturellement les mêmes droits et devoirs que n’importe quel citoyen, croyant ou pas; il n’y a aucune incompatibilité entre une pratique religieuse et le respect dû aux règles et lois de la collectivité. Il est parfaitement possible de vivre sa religion dans la sphère privée ; les problèmes d’ordre public et l’absence de concorde ne surviennent que lorsque la religion se fait idéologie.

La question des outils se pose avec une acuité renouvelée. Pour réfléchir sans mots d’ordre, et loin des clichés condescendants, il nous faut, en effet, disposer d’outils robustes, qui vont nous permettre de discerner la présence des idées préconçues qui isolent et segmentent. Il nous faut démonter un à un les préjugés ; cela constitue le préalable pour reconstruire des modes de relations sains et délivrés de l’idéologie.

Qu’on le veuille ou non, la question de l’islam reste associée dans l’esprit de beaucoup à celle du sort réservé aux femmes. Les images venues d’Afghanistan ainsi que les témoignages des femmes afghanes glacent le sang, malgré les tentatives de quelques porte-paroles des Talibans censées endormir les esprits et les consciences. Le véritable but des Talibans est bien de remettre en place la Charia donc une société profondément inégalitaire, structurellement violente et fondamentalement humiliante pour les femmes, considérées comme des mineures à vie.

L’émancipation et les droits des femmes sont-ils incompatibles avec une certaine pratique de la religion ? Le recteur de la Mosquée de Paris nous a donné sa vision humaniste de la vie et de son rapport aux autres. Cette approche généreuse et ouverte est partagée par l’immense majorité des croyants.

Pourquoi cette question résonne-t-elle autant ? Il est certain que la question de l’islam n’est pas dissociable dans l’imaginaire collectif, au sein de notre pays, de celle de notre histoire coloniale. Les arrière-petits-enfants de cette histoire sont ceux-là mêmes qui utilisent parfois le fait religieux comme marqueur identitaire. N’ayons pas peur de regarder, ensemble, notre histoire, ses parts d’ombre et de lumière, à l’instar du pavé mosaïque fait de pavés noirs et de pavés blancs. Les deux couleurs doivent être assumées. Il en va de la survie de notre modèle culturel qui s’est toujours opposé au modèle anglo-saxon de communautés.

La franc-maçonnerie, en tant que société traditionnelle et force tendue vers l’idée de progrès, a un rôle à jouer dans ce monde qui va vite et déraille parfois. Un travail sur les mots s’impose. Comme le dit Esope « la langue est la meilleure et la pire des choses ». Quelle est la bonne terminologie : doit-on parler d’islam en France ou d’islam de France ?

Une perspective historique est, comme toujours, bienvenue et éclaire la problématique. Nous ne pouvons pas dire que l’islam n’était pas dans l’esprit de ceux qui ont rédigé la loi de 1905, loi socle de notre République et de séparation entre le temporel et le spirituel, loi appelée de séparation des Eglises et de l’Etat – et à ce titre, le pluriel est important. Les croyances ont été circonscrites à la sphère privée, et non publique. Il s’agit là d’un progrès majeur pour permettre l’émancipation des individus et favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes. Il faut préciser qu’il aura fallu un peu de temps aux religions pour s’habituer à ce principe de laïcité; les Catholiques eux-mêmes ont mis un certain temps avant de l’accepter pleinement.

La question musulmane, en tout cas, s’est posée en 1905 puisque la France avait trois départements français en Algérie. De fait, les Musulmans ont été écartés de la laïcité, ce qui a probablement favorisé cette incompréhension aujourd’hui.

Cependant, l’islam s’était parfaitement adapté à la République jusqu’à la fin des années 1980, avec des millions de pratiquants. Depuis les années 1990, les courants intégristes ont semblé dominer les sensibilités qui composaient l’islam de France et ont eux-mêmes encouragé des formes de séparatismes dont nous mesurons aujourd’hui les conséquences. Et c’est quand le fondamentalisme religieux au niveau mondial a connu une radicalisation, qu’il a semblé submerger notre pays.

Lorsque certaines dérives religieuses interfèrent dans la sphère publique et politique, voulant substituer ses propres lois à celles de la République et à l’esprit des Lumières, à l’émancipation si chère au cœur des francs-maçons et de la France, elles génèrent une poussée communautariste incompatible avec nos valeurs. Soyons vigilants, mes frères et mes sœurs, c’est dans les périodes troublées que les préjugés les plus sombres – et les plus stupides –nourrissent les poussées de fièvre identitaire.

Les radicalités peuvent alors se juxtaposer, se cumuler, se répondre les unes les autres dans des réactions en chaîne mortifères pour la démocratie et le vivre ensemble. Les identitaires se font face, et s’alimentent de tendances aux complotismes en tous genres.

Le déni des élus et des responsables publics au niveau local pendant des années a malheureusement permis à l’islamisme de se développer sans entrave. Autour des valeurs républicaines que sont la liberté, l’égalité et la fraternité, le principe de laïcité doit pouvoir garantir à tous la liberté de conscience, sans pour cela devoir renoncer à l’émancipation de tous et en particulier des femmes. Il est temps de redonner un sens à la citoyenneté à travers l’éducation républicaine. La franc-maçonnerie a un rôle pédagogique à jouer pour expliciter le concept de laïcité auprès des jeunes générations surtout, afin de donner toute sa valeur à la notion cardinale de liberté absolue de conscience pour chacun des individus qui composent la société, croyants ou pas.

Edouard Habrant

Pour écouter ou regarder la conférence : https://youtu.be/ZBFzMt-xy3w