Le quatrième mur
« J’avais très envie, aussi, de casser la rampe, ce quatrième mur invisible qui, au théâtre, coupe la scène et la salle. » Peter Brook – Le Monde – Novembre 2010.
Dans une recherche aboutie en 1968 par la sortie de son livre « L’Espace vide », le metteur en scène Peter Brook explique : « Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé. »
Britannique francophile et parlant un Français remarquable, il ajoutait que parmi les mots polysémiques de la langue française se glisse le mot « assistance ». L’assistance peut être la réunion d’une assemblée spectatrice d’un évènement (assister signifiant voir) ; elle peut être également l’élan d’un entourage pour porter secours, soutien ou protection (assister signifiant aider).
Alors que le 17 juin 1789 les députés du Tiers Etat se forment en Assemblée Nationale, le 20 juin le Roi en récuse l’autorité et fait fermer la salle des séances (l’hémicycle). Sans plus de lieu pour tenir leur séance, les députés se réunissent alors dans la Salle du Jeu de Paume et affirment dans le serment éponyme leur volonté d’établir la Constitution du pays.
Dans son « Arrêté contre toute suspension ou interruption de l’Assemblée », les députés déclarent que « partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée Nationale ».
La Loge est entre les quatre murs du Temple. C’est ce que l’on pourrait penser. Pourtant à l’image de l’Assemblée Nationale, la Loge est en réalité partout où les Francs-Maçons veulent se réunir. Mais ce n’est pas tout.
Car le Franc-Maçon n’est pas une île, il rencontre le monde et partout où est le Franc-Maçon, ce qu’il a appris dans le Temple est avec lui.
En voulant « casser le quatrième mur », Peter Brook nous invite à réfléchir à cette ambivalence : le public participe-t-il ou non à la représentation ?
« Casser le quatrième mur », c’est ouvrir la salle. Ainsi la pièce n’est plus donnée en un lieu clos et celui qui y assiste est davantage qu’un simple spectateur, il s’empare en pleine conscience du message de l’œuvre, le comprend à la lumière de ce qu’il est. Et l’art de l’auteur est véhiculé au monde.
Et nous Francs-Maçons, que voulons-nous être dans la Société ? Réécoutons Peter Brook, soyons cette assistance qui écoute et entend, qui entoure et soutient. L’assistance du Franc-Maçon qui perçoit et véhicule ses valeurs sur la place de son village, le Franc-Maçon qui participe à la vie de la Cité.
Les Francs-Maçons ne cherchent pas l’uniformisation, ils ne désirent pas que nous soyons tous les mêmes. Ce que cherchent les Francs-Maçons, c’est l’unité entre des personnes différentes, l’harmonie. Et l’harmonie ne peut être atteinte en restant indifférent à ce qu’il se passe à côté de nous.
Si rien n’est plus triste qu’un théâtre sans public, si rien n’est plus morne qu’une Société sans art, alors rien n’est plus inutile qu’un Franc-Maçon qui conserve pour lui toutes les richesses qu’il a acquises.
« Les mauvais coups, les lâchetés
Quelle importance
Laisse-moi te dire, laisse-moi te dire
Et te redire ce que tu sais
Ce qui détruit le monde c’est
L’indifférence (l’indifférence) »
L’indifférence – Gilbert Bécaud et Maurice Vidalin – 1977
Félix Natali
Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France.
28 septembre 2024