Idées

LIBERTÉ, EGALITÉ, FRATERNITÉ

« C’est une petite histoire de rien du tout… ».
Ainsi commencent plusieurs des histoires que contait Anne Sylvestre aux enfants.
C’est un petit livre de rien du tout, du moins dans son volume (75 pages) et dans son prix (9,90€), mais certainement pas dans sa teneur.

Les Editions de l’Aube ont rassemblé en un petit opuscule trois interviews réalisés par l’hebdomadaire « Le 1 » auprès de trois grandes dames : Mona OZOUF, historienne et philosophe, Michelle PERROT, également historienne, et Cynthia FLEURY, philosophe. L’une nous parle de la Liberté, la seconde de l’Egalité, la troisième de la Fraternité.

En ces temps embrouillés de pandémie et de revendications diverses entre droits et liberté, remettre les choses à l’endroit sur les trois termes de la devise républicaine… et maçonnique, était œuvre nécessaire, et œuvre bienfaisante. D’une part chacune de ces grandes intellectuelles rappelle les fondamentaux du terme qu’elle développe, mais elle les met aussi en perspective avec les deux autres, et met en évidence les distorsions politiques et historiques, passées ou actuelles, qui ont pu les traverser et les mettre en balance.

La Liberté est visitée à la lumière du jour, des circonstances exceptionnelles actuelles entre salut public et peurs extorquant le consentement. A ce titre, le propos est utile à chacun.e pour y voir plus clair au cœur des arguments partagés, les siens propres et ceux des autres. Pour faire un retour aux sources des valeurs personnelles et collectives.

L’Egalitarisme est une revendication ancienne en France, d’origine paysanne et ouvrière, que la Révolution a cristallisée, rendant la volonté d’égalité irréversible. Crève les yeux pourtant son évidente distorsion entre droit formel et situation réelle.
Là encore, est mis en évidence que si dans la réalité ce sont les inégalités qui l’emportent, c’est d’autant plus le cas dans les situations de crise. Spécialiste de l’histoire des femmes, Michelle PERROT illustre son propos par l’implication des « premiers de corvée » qui ont été majoritairement des « premières de corvée », qu’elles soient caissières ou actrices majeures des soins, mais aussi corvéables à domicile lors des confinements.

« Ce sont les inégalités qui menacent la Fraternité ». Ainsi commence le propos de Cynthia FLEURY sur la Fraternité, mettant en évidence que la République s’est construite autour du modèle de la solidarité publique, sur la question sociale et sa résolution par l’Etat. C’est en 1848 que la fraternité se laïcise, faisant de nous des « frères », certes dissemblables, mais égaux en droits. La fraternité de la République française a la particularité de s’inscrire dans l’universalisme des Lumières. Elle a également pour spécificité de n’être pas un devoir mais un consentement, un contrat social. Il s’agit donc pour l’Etat de la rendre désirable.
Son actualité réside dans le développement de l’économie sociale et solidaire, dans la philosophie morale du care, et dans sa sacralité et son indivisibilité à l’occasion de catastrophes, par-delà l’état individualiste de la société contemporaine.

Si vous projetez bientôt de rédiger et de prononcer une planche sur un ou plusieurs de ces thèmes, il vous faut cet opuscule !
Un membre de votre Loge l’envisage ? Il vous le faut aussi pour enrichir sa Planche !
Rien de cela n’est en vue ? Il vous le faut quand même pour nourrir votre réflexion, vous remémorer et replacer ce qui fonde notre société, notre République et nos valeurs maçonniques.

Claire Donzel

Cynthia Fleury, Mona Ozouf, Michelle Perrot, Liberté, Egalité, Fraternité, Paris, Editions de l’Aube. 2021.

RACÉE

Avec beaucoup de détermination, parfois avec rage, toujours avec netteté, Rachel Khan s’en prend à la langue, celle qui défait, déforme, enchaîne et parfois trompe.

Issue de parents par définition différents, un père noir, gambien, d’origine catholique et musulmane, une mère blanche, juive, française, Rachel Khan récuse les nouveaux concepts – donc les mots – qui divisent, scindent et surtout excluent. On vient à l’essentiel : l’auteur combat ce qui divise, en France, de prétendues communautés – noirs, arabes, beurs – en puisant dans le modèle américain de bonnes raisons de s’opposer. « On est tous des additionnés », selon le mot qu’elle emprunte à Romain Gary, dans Pseudo. Elle démonte, comme pour un moteur, les absurdités de ce que l’on traduit de l’américain, histoire de fragmenter la communauté nationale française. Quelques exemples de ces mots qui séparent : « souche », « racisé », « afro-descendant », « minorité » – Elle qui revendique toutes ses origines, est-elle « Afro-descendante » ou « Shoah-descendante », sans que l’on l’oblige à renier l’autre ? Absurdités vous dit-on. Celles aussi de ces « mots fourre-tout qui ne vont nulle part. » : vivre-ensemble, diversité, mixité, collectif.

Nous avons tellement l’habitude de ces banalités, que nous en oublions la fadeur et la portée. Dans ce mouvement de va-et-vient, le troisième temps est le plus optimiste – et le plus fort – avec les « mots qui réparent » : Intimité, Silence, Invisible, Création, Désir, entre autres ? Rachel Khan renoue alors avec Romain Gary, lointain inspirateur de ce qui paraît ici comme un pamphlet salvateur contre les modes du temps présent, celles qui détruisent ce que nous sommes. Avec une verve d’écrivain, avec désir aussi, Rachel Khan emporte l’attention, surtout la raison, en brisant les jambes des quelques banalités qui nous gouvernent ou prétendent le faire. Jubilatoire !

Pierre Yana

Rachel Khan, Racée, Paris, Ed. de l’Observatoire, 2021