Souviens-toi que tu es vivant

Yves Vaillancourt, TRPGM du Grand Orient du Québec est un philosophe, écrivain, photographe et franc-maçon. Récompensé en 2014 avec le Prix Esdras-Minville et en 2021 avec le Prix Jean-Claude Simard, il vient se livrer sur sa vie, son parcours et présenter son dernier livre « Souviens-toi que tu es vivant ».

Au centre, la philosophie

A l’origine, ma famille vient de Minganie. C’est à plus de 1350 km au nord-est de Montréal. Mais j’ai grandi à Baie-Comeau, petite ville industrielle du nord du Québec, qui se nomme bien justement la Côte Nord. À ne pas confondre avec la Côte d’Or, car, quand Jacques Cartier a vu nos épinettes noires et nos autres arbres rabougris, il s’est exclamé : « Quelle Terre de Caïn ! »
Plus jeune, j’étais passionné de philosophie. J’ai eu la chance de pouvoir en faire mon métier pendant de nombreuses années, en tant que professeur. Au-delà du partage des connaissances, ça m’a permis « un regard global, plus critique » sur l’Homme. Comme le disait le père Socrate, une vie sans examen mérite-t-elle d’être vécue ? Tout au long de ma carrière, Freud ne m’a jamais quitté. C’est le père du soupçon et du nécessaire examen de soi, incluant les parties les moins visibles. Il a dit que le seule la culture peut s’opposer efficacement à la pulsion de mort.
J’ai concilié ma vie profane et ma vie maçonnique. Mon chemin est comme un miroir, l’un est le reflet de l’autre. La philosophie m’a ouvert à un universel de pensée et la Franc-Maçonnerie à un universel humain, visible et non-visible.

Besoin fraternel

Mon premier contact fut avec le Frère Léon Patenaude. À la suite d’un article que j’avais écrit dans un quotidien, il m’invita à une séance d’information. À la fin, il me prit à part pour me dire que la fraternité avait besoin d’un jeune homme comme moi, comme le jeune homme que j’étais avait besoin d’une fraternité comme la leur ! Je garde un vif souvenir et une vive émotion de notre rencontre, surtout que je me sentais assez seul à cette époque. C’était un homme charmant, ondoyant et divers.

Haut fonctionnaire fédéral à la culture, fondateur de la Ligue des droits et libertés, et fier descendant d’un de nos Patriotes qui se sont soulevés contre la domination britannique en 1837, j’ai découvert plus tard, dans ses archives, un document signé par le roi de Yougoslavie (en exil) l’établissant je ne sais quel chevalier !

Sur le chemin

J’ai été initié en 1987 à la Respectable Loge Montcalm Nouveau Monde du Grand Orient De France (GODF) à l’Orient de Montréal. Puis en 1992, on a créé un Grand Orient du Canada mixte, avec la Loge Émancipation, en souvenir de la première loge du GODF à Montréal, l’Émancipation, créée en 1888. J’ai été le dernier Vénérable Maitre de cette Loge en 2011-2012.
En 2012, on a créé le Grand Orient du Québec avec la loge Les Amis Réunis. La création s’est faite tout simplement en remplaçant le mot Canada par Québec. J’ai amené ce choix. Pourquoi ? Je ne peux que répondre ceci, à la manière de votre Général : « Vive le Québec libre ! ». Je plaisante à moitié, mais en réalité, nous ne sommes pas présents en-dehors du Québec. Espérons la création future d’un Grand Orient du Manitoba ! Si je peux y contribuer, j’en serai ravi.

L’alambic des souvenirs

Depuis de nombreuses années, la Franc-Maçonnerie fait partie intégrante de ma vie. Elle représente pour moi l’alambic du futur, distillant le meilleur dont le présent est porteur. La motivation de mon implication est de surmonter mon pessimisme naturel. Je ne peux donc jamais arrêter d’entreprendre quelque chose. Dans ce sens, j’ai eu le temps de me construire de nombreux souvenirs. Trois me tiennent particulièrement à cœur. Le premier est lors de mon initiation, lorsque j’ai compris la phrase de Rimbaud « Je est un Autre » ou celle du bouddha, « Tat tvam asi » : « Tu es aussi Cela ». Le second est l’enthousiasme des membres fondateurs des Amis Réunis, le 4 août 2012, quand nous avons clos les travaux chez moi par une triple batterie d’allégresse. Le troisième et dernier est la remise des Patentes par le GODF, le 3 mars 2021.

Voyage chez les symboles

Mon interprétation des symboles a évolué au fur et à mesure de mon parcours en me rendant compte de la prééminence du règne minéral. Les symboles sont importants et nous invitent au voyage. J’aime la phrase de l’écrivain Nicolas Bouvier, disant « qu’on ne voyage pas pour se garnir d’anecdotes et revenir garni comme un sapin de Noël. On voyage pour que la route nous plume, nous rince et nous essore afin que l’on revienne propre comme cette serviette usée de bordel qu’on a lavée mille fois ». Une phrase extraordinaire. Pour se l’appliquer, il suffit de remplacer « voyager » par « travailler ». Se frotter à la fraternité humaine, malgré l’initiation, comporte en effet des éléments analogiques au bordel.

« Souviens-toi que tu es vivant »

J’ai écrit « Souviens-toi que tu es vivant » parce que j’ai réalisé la valeur opérative du concept psychanalytique de refoulement appliqué à nous Francs-Maçons. Le refoulement de l’élément féminin est connu depuis Jung surtout. Je l’ai juste étendu à tout le vivant.
Le titre vient d’un livre de Goethe, où un impétrant traverse une salle égyptienne et une momie lui délivre ce message, qui se retrouve également dans son beau conte Le Serpent Vert. L’initiation ne peut être qu’une prise en compte de tout le vivant et non une fuite individuelle vers un paradis imaginaire.
Mon livre s’adresse à des francs-maçons, de tous les grades et ne délivre pas de secret. Il n’enseigne pas, mais interroge en amenant à se poser des questions. Si je devais transmettre seulement un passage de celui-ci, ce serait celui où je reviens sur la pertinence et la nécessité de l’examen critique quand on se dit franc-maçon libéral.

Retrouver le livre dans la librairie « La Petite Lumière » au 14 rue Boulard dans le 14e à Paris.

Propos recueillis par Michel Riedel