Intervention de Madame Sophie Elizeon, Préfète et Déléguée interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, DILCRAH lors de la Conférence du 18 décembre 2022 organisée par la Loge « Bienveillance et Fraternité » de Mulhouse.

Vous avez choisi le thème « égalité et discrimination » pour cette rencontre, organisée dans le cadre des quarante ans de la Grande Loge Mixte de France et je vous remercie très sincèrement de m’avoir invitée à échanger avec vous à cette occasion. C’est en effet une thématique à laquelle je suis très attachée et qui a guidé mon parcours professionnel et personnel, de l’école primaire François Rabelais de Plaisir, dans les Yvelines, à la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, que je conduis aujourd’hui.
Mais avant de développer davantage mon propos je souhaite m’arrêter un instant sur des définitions : de quoi parle-t-on lorsque l’on parle de racisme, d’antisémitisme, de haine anti-LGBT et de discriminations.
En 2020, en France, le taux de chômage des personnes descendantes d’immigrés est de 5,1 points supérieur au taux de chômage des personnes sans lien avec l’immigration. Or, la même année l’enquête Trajectoire et Origines 2, de laquelle sont issues ses données, précise qu’à l’âge de 30 ans 72% des descendants d’immigrés ont un diplôme supérieur à celui de leurs parents, contre 57% seulement des personnes dont les deux parents sont nés en France. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, le risque de déclarer une discrimination est quatre à six fois plus élevé pour les hommes immigrés ou descendants d’immigrés d’origine subsaharienne et descendants de natifs des outremers, relativement aux personnes sans ascendance migratoire ou ultramarine. Ces résultats questionnent sur notre capacité à faire vivre la devise de la République et à incarner la promesse républicaine d’émancipation.
Pourtant, la déléguée interministérielle que je suis sais l’engagement de l’Etat dans la lutte contre les discriminations, notamment celles fondées sur l’origine, et la promotion de l’égalité réelle, qui traduit dans les faits l’égalité acquise par les textes. La Première ministre l’a rappelé dans son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale le 6 juillet dernier.
Permettez-moi de la citer « Nous refusons une société où la vie et les destins sont tracés : selon le quartier où l’on naît, selon le lieu où l’on vit, selon la couleur de sa peau ou la profession de ses parents. Alors, au cœur de l’engagement du président de la République et de mon Gouvernement se trouve une volonté : briser les inégalités de destins. N’accepter aucune assignation sociale ou culturelle. Permettre à chacun de choisir son avenir. Tracer les chemins de l’émancipation. » fin de citation.
Cette émancipation, selon l’expérience qui est la mienne, passe par l’école de la République, les rencontres inspirantes et l’engagement collectif. Aussi, en tachant de me garder de toute immodestie, c’est à partir de mon parcours que je vais tenter de dire comment la promesse républicaine peut encore être tenue aujourd’hui.
Fille de postiers, mon père réunionnais étant arrivé à Paris par le biais du BUMIDOM pour débuter une carrière de facteur et ma mère corrézienne ayant réussi le concours des postes à défaut d’avoir pu comme elle le souhaitait poursuivre des études supérieures, c’est l’école de la République qui m’a donné le goût de la poésie, des mathématiques et des langues étrangères contemporaines ou anciennes. C’est elle aussi qui m’a appris la diversité -et malheureusement son revers le rejet des différences- à la rencontre de mes camarades de classe originaires d’Asie, d’Afrique, d’Amérique du Sud mais également en situation de handicap. Depuis quelques années, le phénomène d’évitement scolaire vient percuter ce rôle essentiel joué par l’école de la République : l’instruction en famille ou dans des écoles hors contrat permettraient à certaines familles de soustraire leurs enfants à des enseignements qu’elles contestent, ou à une école publique dont elles se défient.
Ainsi, lorsque j’étais préfète déléguée pour l’égalité des chances auprès du préfet du Nord, le préfet Lalande m’avait demandé d’élaborer, avec les collectivités et services de l’Etat, un plan d’action pour répondre à cette problématique. A la rentrée 2021, des cellules de prévention de l’évitement scolaire ont été installées dans ce même département. La loi du 24 août 2021, confortant le respect des principes de la République, en soumettant l’instruction en famille à une autorisation et non plus à une déclaration répond à cet enjeu de prévention de l’évitement scolaire. L’école de la République demeurant encore aujourd’hui un espace de socialisation et de confrontation au vivre et agir ensemble, il me semble essentiel de la rendre à nouveau attractive.
Car c’est par l’expérience du vivre, mais surtout de l’agir ensemble, que la possibilité nous est offerte de développer notre empathie, prise comme la capacité de voir en l’Autre une version possible de nous-même, et faire des rencontres inspirantes. Ce sont ces rencontres qui souvent, nous font progresser vers l’épanouissement personnel et professionnel. Ce fût le cas pour moi et je veux citer trois rencontres qui ont réellement influencé mes choix et mon parcours de vie.
La première rencontre c’est celle de Mme Cayuela, enseignante, maîtresse comme nous les appelions à cette époque, de CM2 à l’école Rabelais de Plaisir. Alors que, comme beaucoup de mes camarades de classe, la notion de confiance en soi m’était assez étrangère, elle a su par sa présence, son attention et surtout son commentaire sur le bulletin scolaire du dernier trimestre d’école primaire me dire la confiance qu’elle plaçait, elle enseignante, dans mes capacités à « réussir ». Ces encouragements, cette confiance je les ai retrouvés chez mon professeur de mathématiques de première et terminale, Monsieur Juery, qui a largement inspiré ma volonté de m’inscrire en classe préparatoire aux hautes études commerciales.
Enfin, je l’ai déjà cité mais je veux reparler de la rencontre avec le préfet Michel Lalande. Alors qu’il était préfet de La Réunion, j’étais déléguée régionale aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes : c’est en travaillant pour lui, en l’observant, que l’idée de rejoindre le corps préfectoral est née chez moi. C’est en en échangeant avec lui et en suivant ses conseils que cette idée est devenue une ambition, puis une réalité. D’aucuns diront que les rencontres inspirantes c’est une affaire de chance. Sans doute. Pour autant, il me semble que pour saisir la chance, il est important de la voir passer et pour la voir passer il est indispensable d’y être attentive et attentif. Saisir les mains tendues, avoir l’audace de demander de l’aide, accepter d’éprouver ses compétences et aptitudes ne sont pas, il me semble, des aveux de faiblesse mais au contraire des manières d’accueillir la chance. Lutter contre l’entre soi, sortir de l’enfermement algorithmique ou géographique, refuser le repli identitaire d’où qu’il vienne sont, je crois, les moyens les plus surs de permettre à la chance de circuler. La question des réseaux, ou plus précisément de leur inaccessibilité pour les habitantes et habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville par exemple, est souvent mise en avant. Pourtant, du haut de ses plus de 40 ans, la politique de la ville -qui est plus vieille que votre organisation- a permis à de nombreux jeunes issus de ces quartiers d’accéder à des postes à responsabilité dans la sphère publique comme privée. Ces réseaux potentiels existent donc et il nous revient, à nous qui savons les identifier et les animer, d’aider à leur consolidation en faveur des jeunes qui aujourd’hui sont victimes de discriminations dans l’accès aux stages, à l’emploi, à la création d’entreprises.
Il est des rencontres qui se font aussi avec des personnes morales. Je veux dire ici, en présence notamment de Jérôme Cailly qui est comme moi un jaycee, à quel point ma rencontre avec la Jeune chambre internationale a été déterminant et a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui.
La Jeune Chambre Internationale, c’est l’expérience de l’engagement. Un engagement pour défendre des valeurs d’humanité et de fraternité. Un engagement individuel au service du collectif, pour le progrès de la cité. Un engagement non partisan, mais réellement politique en somme. Bien plus qu’un don de soi, j’ai la conviction que l’engagement est pour celles et ceux qui l’expérimentent, source de développement de compétences, de savoir-faire et savoir-être, aussi bien que d’épanouissement personnel. Car s’engager c’est promettre et tenir sa promesse, parfois en plaçant au second rang ses propres priorités. C’est pourquoi j’ai foi en des dispositifs tels que le volontariat en service civique, le service national universel ou encore la réserve citoyenne. Une certaine presse se fait régulièrement l’écho d’une démotivation de la jeunesse, de son désintérêt pour le bénévolat. Il n’en est rien et les publications de l’observatoire de l’engagement par exemple en témoignent : les jeunes s’engagent. Sous des formes différentes de celles de leurs aînés, pour des causes nouvelles, mais elles et ils s’engagent. Interviewés sur leur centres d’intérêt les collégiennes, collégiens, lycéennes et lycéens se déclarent particulièrement intéressés et engagés sur les questions d’écologie, de respect des religions et de lutte contre les discriminations fondées sur le genre. Par ailleurs, des résultats concrets et rapides sont de plus en plus attendus, plaidant pour des engagements peut-être plus nombreux et divers, mais à court terme.
Réaffirmer l’importance du rôle de l’école de la République, favoriser la création de réseaux dans les quartiers populaires ou ruraux, offrir de nouvelles formes d’engagement plus contemporaines, sont il me semble trois pistes à explorer pour compléter l’action des pouvoirs publics, singulièrement du Gouvernement, pour faire cesser les pratiques discriminatoires et avancer vers l’égalité réelle pour toutes et tous.
Parce que l’expérience des discriminations a un effet direct sur le sentiment d’appartenance à la République, les pratiques discriminatoires menacent la cohésion nationale. Pour la préserver, l’approche universaliste qui est la nôtre, et que le monde entier ou presque s’emploie à dénigrer, semble pouvoir encore faire ses preuves. Car il ne s’agit pas de définir des droits particuliers pour tel groupe de personnes qui se trouveraient à l’intersection du racisme et du sexisme par exemple, ce serait contraire à l’unité du Peuple. Il s’agit bien davantage de réaffirmer que les êtres humains, quels que soient leur origine, leur prétendue race, leur sexe, leur genre ou leur religion sont égaux en droits.

Pour conclure je voudrais simplement emprunter ce vers de Térence, qui me suit depuis que je l’ai découvert en cours de philosophie, et qui synthétise bien il me semble ce qui peut nous animer si nous voulons mettre fin aux discriminations et avancer vers l’égalité : « Je suis humain, rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».