Le bandeau, c'est pas des œillères !

L’une des caricatures de la Franc-Maçonnerie dans son rituel d’initiation, est l’utilisation du bandeau de l’impétrant : il est facile évidemment d’insinuer que les Maçons auraient pas mal de choses à cacher au nouvel arrivant ! Qu’en penser ?
Et bien, trois associations se font à mon esprit : Moïse, la Cathédrale de Strasbourg et Sherlock Holmes ! Je vous dois une explication par rapport à ce cheminement. Commençons par Moïse qui, sans bandeau, va être confronté à la Lumière Absolue. Il s’aperçoit qu’une distance est nécessaire entre le Principe et l’homme (Exode 33-22,23) : «  Quand ma gloire passera, je te mettrai dans un creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. Et lorsque je retournerai ma main, tu me verras par derrière, mais ma face ne pourra pas être vue ». Maintenant pourquoi Strasbourg ? Parce que dans les sculptures de la cathédrale figure une représentation de la Synagogue sous les traits d’une jeune femme avec un bandeau sur les yeux, incarnant son aveuglement face à une autre jeune femme, sans bandeau celle-là, figurant la gloire de son accès à la lumière représentant l’Église triomphante ! Et enfin ce bon vieux Sherlock, personnage présenté par Conan Doyle comme souvent proche de l’absence d’humanité, dont la drogue principale, en dehors de la cocaïne et du violon, est le dévoilement, le « mettre en lumière ». Ces trois associations nous conduisent à quelques réflexions :

– Recevoir la lumière ne peut s’opérer que par étapes, sinon c’est risquer l’éblouissement, voire la cécité. La pleine lumière est quelque chose d’insupportable si, en contre-partie, n’existe pas l’obscurité qui la met en valeur. C’est le thème de la « Nuit obscure » de St. Jean de La Croix.

« Mettre en Lumière » quelque chose qui serait dissimulé chez l’autre relève souvent d’une agressivité inconsciente : c’est mettre à nu le prochain en faisant tomber ses défenses . Toute vie groupale (et nous en relevons), suppose un « Mi-dit », comme le disait Lacan, sous peine de sombrer dans le chaos et notre « Ordo Ab Chaos » nous conseille le discernement, donc de laisser sa part de bandeau à l’autre et à soi-même. Ne pas le « tenir à l’œil ».

– La partie la plus compliquée est, naturellement, d’enlever son propre bandeau pour avoir accès à sa lumière intérieure, car l’obscurité nous est chère : elle nous rappelle notre position fœtale, dans le noir du ventre maternel, pour être expulsé dans le froid, les bruits inconnus, et cette insupportable lumière qui nous aveugle.

Cette naissance à un état nouveau est une épreuve que l’on peut comparer de façon métaphorique à la naissance réelle, avec tout ce que cela peut générer émotionnellement . D’où un repos nécessaire : à la lumière succède le silence de l’Apprenti durant un an et, le nouvel initié qui voudrait mettre en lumière des vérités qu’il imagine essentielles, est mis à l’ombre !

A nous de lui faire entendre la nécessité du discernement de la parole possible et que cette « mise en cabane » provisoire est indispensable avant de se rendre au parloir. Le bandeau se transforme en bâillon !

Michel BARON