Le petit coin de lecture

Incontestablement, Léo Ferré a bercé ou enthousiasmé des milliers d’adolescents dont nous étions. En ce temps-là, il faisait partie de la trinité : Brassens, Brel, Ferré, à laquelle il fallait rajouter quelqu’un du côté déesse : Barbara ! Nous étions dans le paradis des mots. Belle, si belle période où, au-delà de la brutalité courante de l’actualité, nous pouvions nous réfugier dans le royaume de la poésie et de la profondeur philosophique.

 
Avec le temps… Avec le temps va tout s’en va…

Toutes nos idoles sont devenues des classiques : nom de rue et d’édifices, enseignement de leurs œuvres à l’école, sujets de thèses universitaires, etc. Avec, de temps en temps, la mise en place d’un petit rituel pour les réécouter, soit dans un lieu isolé du monde, soit en communion avec d’autres « croyants », ou de futurs convertis ! Il y a quelque chose du religieux qui se met en place, quand on aime.

On en reparle 

Le « Monde » a l’excellente idée de nous reparler de Léo Ferré et d’ôter tout ce que nous projetions sur son personnage, ses tics, ses mouvements de colère et de révolte contre un système économique d’où il provenait d’ailleurs lui-même et où nous sentons un rejet de la figure du père symbolique (le fameux « Ni Dieu ni maître » ! ). Mais nous avions oublié qu’il était dans le fond un humaniste sentimental et que l’on parle beaucoup d’amour dans ses chansons, y compris pour le monde animal (ah, cette déchirante chanson pour « Pépée » la guenon qui vient de mourir !).
Cette présence, cette immersion dans le vivant, le rendait très sarcastique sur les intellectuels à l’esprit présent mais au cœur absent, finalement victimes de leur mauvaise foi et de leur snobisme. Il avait la dent dure, en particulier pour le couple Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre (« Celui qui copiait sur Heidegger » ! ).

La vérité 

Mais nous oublions aussi que notre « anar » de service était un grand psychologue.
Il écrivait : « C’est à trop voir les êtres sous leur vraie lumière qu’un jour ou l’autre nous prend l’envie de les larguer. La lucidité est un exil construit, une porte de secours, le vestiaire de l’intelligence. C’en est aussi une maladie qui nous mène à la solitude ».
Cela veut dire que la vérité en direct est insupportable et que toute relation ne peut se dérouler que dans le « mi-dit » comme l’écrivait Lacan. Et lui qui hurlait des vérités, ne supportant pas les tiédeurs, était l’objet d’une adulation aussi passionnée qu’irraisonnée ou cristallisait des haines paroxystiques, y compris à gauche !
Sacré Léo !

+ d’infos : 

Ouvrage collectif : Léo Ferré l’indigné
Hors-série du « Monde » 2023 (126 pages).

Par Michel BARON