Le regard de Pierre Dac

L’hommage à un homme triste qui, paradoxalement, fit rire des générations, ou le regard de Pierre Dac sur la marche du monde

« Rien de ce qui est fini n’est jamais complètement achevé tant que tout ce qui est commencé n’est pas totalement terminé »
Pierre Dac

Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme a l’excellente idée d’organiser une exposition en mettant en lumière un personnage complexe, au-delà des spots et des calembours. De son vrai nom André Issac, il est un pur produit du Grand Est : mère alsacienne et père lorrain boucher à Nancy profondément attachés à la culture française. Mobilisé en 1914, il est blessé gravement à deux reprises et sera décoré de la croix de guerre. Un drame personnel va le marquer aussi : la mort de son frère aîné Marcel en 1915 durant la bataille de Champagne et auquel il vouait une grande admiration et sur lequel il avait fait un véritable transfert paternel. Sa vocation d’humoriste vient de la naissance chez lui de l’absurdité et de la folie dont l’homme est capable. De cela il va en tirer un humour féroce mais aussi une dépression qui ne le quittera jamais, ponctuée d’au moins quatre tentatives de suicides.

Commence l’époque des petits boulots de survie en montant à Paris, tout en tentant de mettre les pieds sur scène : vendeur de savonnettes à la sauvette, représentant de commerce, homme-sandwich, et même brièvement chauffeur de taxi ! Mais, en octobre 1922, il monte enfin sur la scène de la Vache enragée sous le nom de Pierre Dac (nom donné par le directeur qui pensait que porter le nom d’Issac n’est pas très favorable au succès !). Il y déclame ses premiers monologues et ses premières pensées et va se produire ensuite dans de nombreux cabarets et tourner dans des films. C’est un temps où sa notoriété commence à percer, mais pas sa fortune. Il écrit : « Quand on dit d’un artiste comique de talent qu’il n’a pas de prix, ce n’est pas une raison pour ne pas le payer sous le fallacieux prétexte qu’il est impayable » !

En 1936, il fait ses débuts au micro de Radio Cité et lance le très célèbre « L’Os à Moelle, organe officiel des Loufoques » ! Mais la deuxième guerre mondiale le rattrape et après une odyssée incroyable, il rejoint Londres où il participe à la célèbre émission : « Un français parle aux français » où il s’attaque en particulier à Philippe Henriot, voix de la Collaboration à « Radio Paris ». C’est là où il lance sa fameuse chanson : « Radio Paris ment, radio Paris est allemand ! ». Il ne pourra s’empêcher d’être outré aussi par le peu de participation des Français à une vraie résistance. Avec humour et amertume, il écrira : « Les résistants de 1945 sont parmi les plus glorieux et les plus valeureux combattants de la Résistance, ceux qui méritent le plus d’estime et le plus de respect parce que, pendant plus de quatre ans, ils ont courageusement et héroïquement résisté à leur ardent et fervent désir de faire de la résistance » !

Enfin connu après la libération il va partager son temps entre la scène, le cinéma et des engagements politiques et sociétaux, notamment dans l’affaire Finaly. Avant de mourir, en 1975, il publiera ses « Pensées », mélange d’humour et de philosophie, où il rejoint parfois le pessimisme de Cioran. Bien entendu, la Maçonnerie et son idéal éthique ne pouvait le laisser indifférent : il sera initié à la Grande Loge de France au sein des « Compagnons ardents » qui deviendront plus tard les « Compagnons de Saint Jean » et passeront à la GLNF. Au-delà de la scène, il menait une vie secrète vouant une adoration sans borne à sa deuxième épouse, Dinah Gervyl, résistante elle aussi et qui ira jusqu’à se convertir au catholicisme pour l’épouser religieusement, tout en restant attaché viscéralement au judaïsme ! Il disparaîtra le 9 février 1975, victime d’un cancer du poumon.

Bien sûr, il convient d’aller visiter au plus tôt, cette très originale exposition et de partager un instant avec notre Frère Pierre Dac son rire lucide et parfois désespéré.

Michel BARON