Regards sur la laïcité – Partie 2

B. Les transformations de la règle de droit en matière de Laïcité.

Il est clair qu’il n’est pas question de réécrire la loi de 1905. Elle est en partie constitutionnalisée, par au moins une décision du Conseil Constitutionnel.
Il faut donc trouver des moyens de modifier la loi sans en transformer l’architecture : question délicate. Cela signifie à la fois, conserver des principes et des organisations spécifiques (par exemple les principes d’organisation des cultes) mais , en même temps, modifier certaines règles pour répondre à des questions de politique administrative des cultes en contrôlant au mieux les opérations effectuées par les associations et leurs dirigeants. La voie est étroite.

1 – Les textes qui retiennent l’attention !

Pour le moment, deux textes retiennent l’attention : la loi du 24 août 2021 et le décret du 31 décembre de la même année. La loi dite confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021 (dite Loi CRPR).
Il ne faut pas oublier que depuis des années, pèse sur cette question, la survenance d’attentats terroristes se réclamant de l’Islam le plus radical. Ce type de question relève alors, non pas des cultes et des religions, mais de l’ordre public. C’est bien la difficulté : comment ne pas céder à la tentation, sous prétexte de régler les questions des cultes, de traiter, en réalité, le problème des attentats et de l’ordre public ! Dans la vie réelle, le lien est quelque fois étroit entre attentat et question de religion : mais chacune de ces questions doit être traitée selon des règles différentes.
L’autre difficulté, qui n’est pas mince, c’est que les problèmes actuels concernent prioritairement le culte musulman. Mais la loi est la même pour tout le monde. On ne peut pas faire une loi spécialement pour le culte musulman. Il faut écrire un texte qui soit général, dont le législateur sait qu’il concerne essentiellement le culte musulman.
La loi de 2021 doit répondre à ces différents impératifs. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne convainc pas dans le texte même. Il est vrai qu’il faut ajouter une dernière précision. Contrairement à ce que l’on croit, la loi de 1905 ne règle pas seule la question des cultes en France. En réalité, du fait de la résistance de l’église catholique à cette loi, au moment où elle fut votée, le Parlement pour éviter tout schisme, ou une situation insurrectionnelle, a voté une deuxième loi en 1907 prévoyant que si un culte ne voulait pas appliquer la loi de séparation, il pouvait utiliser les associations ordinaires de la loi de 1901 pour gérer ses activités cultuelles propres.
Or, cette loi prévoyait que dans ce cas, le culte serait assuré par une association simple que tout le monde connait. Pourtant l’église catholique a continué à refuser le nouveau système jusqu’en 1924 où sera acceptée par le gouvernement français la proposition des associations diocésaines du Vatican.

2 – Deux systèmes possibles !

Aujourd’hui, il y a au moins deux systèmes possibles pour gérer un culte : la loi de 1901 et loi de 1905. Il faut donc que la nouvelle législation tienne compte de ces deux possibilités et intervienne à la fois en réorganisant la loi de 1901 et celle de 1905 !
Le texte promulgué le 24 aout 1921 a été conforté par le Conseil Constitutionnel. C’est un très long texte qui touche à de nombreux domaines. Il apporte des règles nouvelles, en imposant, nolens volens, une logique autoritaire ou en tout cas de suspicion, qui autorise des contrôles et des sanctions qui peuvent dénaturer l’idée même de liberté publique.
Les chapitres de la loi sont nombreux et visent tous les éléments de la vie publique : liberté d’association, liberté de culte, liberté de réunion, liberté d’opinion et de communication, liberté de la presse, libre administration des collectivités territoriales, liberté de l’enseignement et liberté contractuelle !
On peut essayer de donner quelques exemples qui donnent le ton de la loi et expliquent l’inquiétude des observateurs et plus encore des associations.
Concernant les services publics, la loi derrière une phraséologie complexe aggrave le contrôle sur les actes des collectivités locales, notamment dans le cas « d’acte compromettant une liberté publique ou portant atteinte à la laïcité des services publics ».
Déjà, a été attaquée puis suspendue et finalement annulée une délibération d’un conseil municipal autorisant le port du burkini dans une piscine municipale, au nom de la Laïcité. L’instruction du ministre de l’Intérieur sur le respect de la laïcité transforme la liberté de décision en compétence liée… Depuis, l’obligation pour une commune de faire rembourser une subvention par une association, sur la base du non-respect de la laïcité, est venue conforter cette version autoritaire du principe, aux lieu et place de la liberté.
Si l’on peut se satisfaire des dispositions ayant trait à l’égalité femmes-hommes, notamment l’interdiction des « certificats de virginité » demandé par le futur époux pour satisfaire une coutume coranique et l’obligation renforcée du consentement dans le mariage, ainsi que des dispositions relatives à l’éducation, en revanche les articles concernant les cultes sont très discutables.
En effet, la loi de 1905 est sérieusement amendée, avec l’argument implicite qu’il s’agit de contrôler le culte musulman : mais ces nouvelles dispositions sont applicables à tous les cultes… qui s’en sont émus évidemment ! Non seulement, la loi prévoit maintenant le contrôle des nouveaux membres et des dispositions sur le fonctionnement des organes délibérants, mais surtout une double déclaration pour fonder une association cultuelle est désormais obligatoire. Une traditionnelle en préfecture (pour créer l’association) et une autre auprès du préfet (pour attester de la nature cultuelle de l’association). À renouveler tous les cinq ans ! De même les contributions financières d’origine étrangère sont limitées en volume. On voit qui est visé par ce dispositif ! Ces contraintes visent aussi tous les cultes organisés sous l’empire de la loi de 1901, c’est-à-dire sous la forme de simples associations (ce qui résultait du refus en 1905 de l’église catholique de constituer les associations nouvelles requises par la loi). Ici sont visés les cultes musulmans et évangéliques.
Enfin, la police des cultes est concernée par cette loi, par une aggravation des peines encourues, qui visent sans le dire, par exemple, les propos qui pourraient être tenus par des ministres du culte, hostiles à la République. De même, les peines encourues pour réunions politiques dans les locaux d’un culte sont désormais étendues aux dépendances des locaux du culte.
La loi de 2021 traite, sans le dire évidemment, d’une question autrement difficile : l’adaptation du culte musulman à la société française. On voit aujourd’hui, une nouvelle tentative , peut-être plus prometteuse au travers du FORum Islam de France (FORIF) de clarifier les situations et d’aider les responsables musulmans à organiser leurs activités plus correctement.

3 – Un nouveau moyen de contrôle : le Contrat d’Engagement Républicain (CER)

Le 31 décembre 2021, était publié le décret organisant le CER prévu par la précédente loi. Ce contrat, qui n’en porte que le nom, est en réalité un dispositif assez contraignant à l’égard des accords souscrits par des associations envers des collectivités locales, pour obtenir des subventions.
Il faut rappeler que le contrat est toujours défini comme étant un accord de volontés, et ceci par le texte du Code Civil. Mais utilisé en droit administratif, le mot contrat recouvre une réalité toute autre : certes, il y accord de volontés… mais celle de l’Administration est dominante ! Le nouveau décret ne fait qu’amplifier cette observation. Car l’Engagement Républicain est plus le fait de l’association demanderesse que de l’Administration qui délivrera éventuellement la subvention.
Déjà, la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, avait inscrit un article 10-1 qui oblige toute association qui sollicite une subvention de souscrire un « engagement républicain ». Celui-ci comporte « le respect des principes de liberté, d’égalité et de fraternité (la devise de la République), de la dignité de la personne, les symboles de la République, de ne pas remettre en cause la laïcité de la République et enfin, de s’abstenir de toute atteinte à l’ordre public ».
Ces trois obligations sont devenues sept dans le décret d’application ! Outre le fait qu’il ne s’agit plus vraiment d’un contrat mais de la soumission à une norme unilatéralement posée par l’Administration, il y a un véritable danger de voir, sous prétexte d’engagement contractuel, une lecture idéologique des obligations imposées en fonction de l’orientation des personnes administratives qui accorderont les subventions. Les premiers exemples de conflit sur ce CER confirment cette lecture politique du contrat.
Il est inquiétant que le rapport prévu pour créer, dans les six mois, un fonds d’aide aux associations liées par ce contrat ne soit toujours pas apparu… Dès lors, se confirme une vision assez dirigiste, pour ne pas dire autoritaire qui, même si elle n’a pas produit tous les dégâts que l’on pouvait craindre, reste une menace sur les libertés des associations, qui pourtant, sont un exemple de la législation libérale du début du XXe siècle.
Certes, les associations cultuelles ne peuvent pas faire l’objet de subventions, depuis la loi de 1905. Pourtant nombre d’associations seulement culturelles, mais liées à un culte, se trouvent désormais obligées de souscrire au CER pour obtenir des subventions (ainsi que des associations socio-culturelles, sportives, de jeunesse, de découverte…). Ils peuvent potentiellement souffrir de ces nouvelles dispositions qui concernent les dirigeants, ce qui se comprend, les salariés, ce qui est aussi admissible, mais aussi les membres de l’association.

Pour conclure

Il est clair que le nouveau millénaire ouvre sur une situation inédite en France en matière de culte. Au libéralisme de la solution trouvée en 1905, se substitue petit à petit un dirigisme qui ne s’avoue pas, et qui, sous prétexte de ramener une religion à une pratique acceptable (l’Islam n’est jamais nommé évidemment) concerne tous les cultes présents dans la République et fait peser sur toutes les associations, même non-cultuelles, la charge d’un contrôle étroit des activités et des personnes.
De la pratique, va dépendre le sort de cette nouvelle législation. Mais il faut toujours se méfier de ce que la pratique peut mettre en place. Une nouvelle manière de penser et de pratiquer la liberté !

+ d’infos

La première partie de cet article est disponible sur le site de la GLMF, dans la lettre d’information n°33 de juin 2023 

Par Michel Maille